Spinoza : déterminisme et conatus
Baruch Spinoza est
un philosophe Hollandais du 17ème siècle. Né dans une famille juive marrane
d'origine portugaise, il s'attire les foudres de certains membres de la
communauté par sa fréquentation des érudits et intellectuels. Frappé par une
sorte d'excommunication (le Herem), il quitte Amsterdam et s'installe à
Rijnsburg où il taille des lentilles d'optiques et écrit plusieurs ouvrages.
Son œuvre la plus importante reste l' Ethique, écrit tout au long de sa vie et
publiée après sa mort dans laquelle il traite de Dieu, des passions et de
l'Homme. On retiendra deux concepts majeurs de ce philosophe : le conatus et le
déterminisme.
Le déterminisme est
un courant philosophique que l'on retrouve d'abord chez les Stoïciens sous la
forme du destin, le fatum stoicum, littéralement le "destin stoïque".
Du mot latin "fatum" dérive également le mot "fatalisme",
c’est-à-dire ce qui est inévitable quel que soient mes actes. Cette doctrine
s'oppose au déterminisme qui est dit causal, c’est-à-dire que contrairement au
fatalisme, un évènement peut ne pas se produire si les conditions ne sont pas
réunies. Le fatalisme, s'est vu objecté beaucoup d'arguments, dont le principal
est moral. En effet, la perte de liberté engendrée par le fatalisme est un
exutoire facile dans la mesure où allège l'Homme de toutes responsabilités
morales. Néanmoins, avant de s'intéresser au déterminisme de Spinoza, revenons
au point de départ de sa philosophie.
La thèse centrale de
Spinoza est qu'il n'existe qu'une seule substance : celle issue de Dieu. Sa
célèbre citation "Deus Sive Natura" - Dieu c’est-à-dire la
Nature" reflète cette forme de Monisme. Cette substance possède une
infinité d'attributs (de caractères) mais seuls deux nous sont accessibles d'un
point de vue ontologique : la Pensée et l'Etendue (on passe donc d'un monisme à
un dualisme). La pensée possède des "modes" tel que les idées (chaque
idée est un mode de notre pensée) ou bien notre âme tandis que l'étendue,
concept mainte fois rencontré en philosophie à trait aux objets matériels que
nous rencontrons physiquement.
Les attributs - pour
nous la pensée et l'étendue - sont dits parallèles, c’est-à-dire que l'un n'est
pas supérieur à l'autre, mais que toute modification de l'un entraine la
modification de l'autre (dans l'absolu, de tous les autres étant donné qu'il
existe une infinité d'attributs). Ainsi, je peux physiquement ressentir la joie
d'un évènement au départ purement émotionnel, c’est-à-dire issu d'un mode de la pensée. Quand deux idées
ou deux corps se rencontrent, il y existe deux issues possibles : soit l'un des
deux est détruit soit ils se composent pour former un ensemble plus puissant.
Cependant, nous nous avérons incapable de déterminer l'origine des évènements -
que nous subissons. Nous nous limitons par notre constitution humaine à l'étude
des conséquences sans pouvoir toucher aux causes (c'est d'ailleurs ce qui
justifie le terme de déterminisme). Dans ces conditions, pour échapper à
l'angoisse de l'ignorance, nous allons interpréter les conséquences ce qui aboutit
à une première illusion : celle du libre arbitre. La conscience se considère
comme cause première alors qu'elle est influencée par les évènements
extérieurs. La seconde illusion, basée
sur l'interprétation erronée des conséquences prises pour des causes nous amène
à considérer le monde comme conçu pour nous, c’est-à-dire que la finalité du
monde nous est destinée.
Néanmoins, si la
conscience s'illusionne, c'est qu'elle agit, qu'elle est active. C'est le
conatus spinozien qui est un effort de persévérance dans son être, c’est-à-dire
ce qui pousse la conscience à être conscience ou un arbre à rester arbre ; il
s'agit, du propre aveu de Spinoza de l'essence de la chose considérée. Il
n'existe ainsi pas un conatus particulier mais une infinité (autant qu'il
existe d'attributs) ; c'est ainsi que la nature naturante est le conatus de
l'être divin. A noter que cette nature naturante est aussi nature naturée en
tant que résultat de sa propre production (Deus Sive Natura).
Si le libre arbitre
se voit ainsi réfuté par le déterminisme spinozien, ce n'est pas le cas de la
liberté. Être libre selon Spinoza, c'est suivre ses propres contraintes, donc
les contraintes imposées par notre conatus. Une contrainte extérieur, ne venant
donc pas de mon conatus restreindra ainsi ma liberté : c'est le cas des
passions, résultant de l'action des modes extérieurs sur nous. Le problème
vient du fait que l'Homme est nécessairement ignorant de sa nature et donc de
son conatus. A ce niveau, l'on distingue trois type de personnes : l'esclave
des passions, celui qui les exploites, le prêtre, complice de l'ignorance
humaine. Cette vision, pessimiste sur la nature de l'Homme se retrouvera chez
Nietzsche.
Finalement, comme
l'indique le titre de son ouvrage, le but de Spinoza est d'établir une éthique
et non une morale. La morale fait référence à un ensemble de normes relative à des valeurs sociétales. L'éthique
fait quant à elle référence à la visée d'une action et nécessite de prendre
conscience de l'autre comme une fin en soi. Donc, pour réaliser cette éthique,
au lieu de mettre en place une philosophie manichéenne basée sur la dualité
bien/mal, Spinoza utilise le rapport bon ou mauvais pour l'individu. Tandis que
le bon est favorable au conatus, le mauvais lui fait opposition et le réduit.
Il s'agit donc d'un rapport subjectif considérant l'individu en lui-même.
Cependant, le rapport bon/mauvais débouche sur une conclusion évidente : les
individus qui recherchent l'amélioration de leur conatus sont "bons"
tandis que ceux qui, esclaves de l'ignorance, font des choix inconsidérés, sont
mauvais.
D'une manière
concise, l'Homme possède un conatus mais n'en est généralement pas conscient.
Ce conatus est l'essence de cet Homme et le conduit à réaliser certaines
actions. Néanmoins, des influences externes diminuent la force du conatus. Le
monde étant déterminé (c’est-à-dire régit par le principe de causalité), la
contrainte de son propre conatus reste le seul moyen de conserver sa liberté
malgré l'absence de libre-arbitre (je suis libre car je me contraint moi-même,
néanmoins, étant donné que mon action est conditionnée par une cause
antérieure, je n'ai pas de libre arbitre).