Syndicats et progrès social
Profitant d’une
opacité juridique et d’une période politiquement instable (entre 1800 et 1850,
se succèderons un empire et trois monarchies), les dirigeants et actionnaires
de ces sociétés du secteur primaire et secondaire ne
vont assurer qu’un faible développement des conditions de vies de leurs
salariés, encouragés par l’établissement par l’état d’un pacte de non
intervention dans la relation patron - ouvrier au nom de la liberté économique.
De plus, le Premier Empire loin de favoriser les ouvriers inscrira dans le code
pénal le délit de grève en prévoyant des peines de prison pour les
contrevenants. La seule avancée positive réalisée durant cette période est la
création d’un conseil de prud’hommes, à Lyon, en 1806. L’interdiction des
syndicats et un paternalisme patronal important ferme toutes possibilités
d’évolution pour les ouvriers. Par ailleurs, les contestations salariales sont
violemment réprimées par les forces de l’ordre en France, Grande-Bretagne,
Allemagne : révolte des Canuts en 1831, journées de juin 1848… La plus
grande particularité du syndicalisme français va être une forte politisation et
une naissance violente – tous les évènements cités plus
hauts se solderont par de nombreuses morts, environ trois cent pour la révolte
des Canuts.
Développement du
progrès social
Avant d’aller plus loin,
arrêtons-nous sur le concept de progrès social. Ce dernier peut paraitre très
vague au regard de la pléthore de notions englobées. D’une manière tranchée, il
serait possible de prendre la Révolution française comme charnière du progrès
social ; la mesure est à nuancer. En effet, si la DDHC
marque un tournant en édictant des droits justes, diverses mesures prises dans
les années suivantes comme la loi Le Chapelier ou le
décret D’Allarde écartent l’idée de Montesquieu de
« corps intermédiaires », à savoir les syndicats.
De plus, ces lois interdisent les grèves, les regroupements d’artisans et
d’ouvriers, les corporations, sans pour autant faire de même avec les trusts et
autres associations patronales. En cela, on peut dire que bien qu’ayant été
prises après la révolution, ces lois furent injustes et réduisirent les droits
des salariés tout en posant les bases d’un renouveau : ces corporations
étaient devenues un obstacle à une démocratie future de par leur implication en
politique. Après la période Charles X qui est marquée par un retour du
rigorisme et s’achève lors des Trois Glorieuse, son cousin, Louis-Philippe qui
monte sur le trône. C’est sous son règne que sera promulguée la première loi
encadrant le travail, le 22 mars 1841. Près d’un demi-siècle après le début de
la première révolution industrielle, l’état fait une entorse au principe de non
intervention dans les relations ouvriers – patronat et encadre le travail des
enfants. En l’absence d’inspecteurs du travail et avec
des familles elles-mêmes réticentes à se voir priver d’une partie de leurs
revenues, les effets de cette loi sont tout de même à mesurer. Le problème du
salaire des ouvriers demeure ; les mentalités doivent évoluer.
Le changement (1850 –
1884)
Le changement va
s’installer à partir de la deuxième révolution industrielle, dans la seconde
moitié du dix-huitième siècle. Bien que grèves et syndicats soient toujours
interdits, des sociétés d’entraides naissent spontanément. Partant du principe
qu’un ouvrier qui ne possède que sa force de travail ne peut négocier avec son
patron, le regroupement de plusieurs ouvriers permet alors d’une part de
rééquilibrer la balance de la lutte des classes intrinsèque à l’entreprise et
d’autre part un soutien moral et financier aux ouvriers. L’évolution est en
marche et en 1864, la loi Ollivier abroge le délit de coalition et instaure le
droit de grève. Ce dernier est néanmoins précaire car toute grève rompt le
contrat de travail de l’ouvrier et le met potentiellement au chômage, d’autant
que l’afflux dû à l’exode rural est important et qu’il est facile de remplacer
un ouvrier peu qualifié par un autre. La défense des droits des ouvriers est à
améliorer. Un changement décisif sera apporté par Pierre
Waldeck-Rousseau : en 1884, la loi éponyme autorise les syndicats en
abrogeant la loi Le Chapelier. Pourtant, en 1871, un coup terrible est porté
aux milieux du syndicalisme naissant : la Commune. Si le soulèvement fut
une démonstration des capacités de rassemblement des idées, la Semaine
Sanglante qui clôtura ces deux mois vit tomber nombre de têtes pensantes
socialistes, marxistes et anarchistes. C’est le début d’un siècle de
contestation et de lutte.
Les revendications
syndicales (1884 - 2015)
La situation
politique de la France, bien qu’instable du fait d’un mode de scrutin
favorisant les blocages législatifs permet une démocratie suffisante à
l’épanouissement des syndicats. En 1891, la première convention collective
entre syndicats et patronat est signée suite à des grèves dans le milieu
ouvrier. Deux ans à peine se sont écoulés après la loi Waldeck-Rousseau que la
Fédération Nationale des Syndicats (FNS) voit le jour, extrêmement politisée,
empreinte de valeurs socialistes (Jules Guesde). C’est ce patrimoine qui
entrainera en 1895, la disparition au profit notamment la Confédération Nationale
du Travail (CGT).
Les progrès sociaux,
jusqu’alors très lents vont s’accélérer : le 2 novembre 1892 est
votée une loi organisant les inspecteurs du travail et encadrant encore un peu
plus le travail des femmes et des enfants ; le 9 avril 1898 une loi
implique la responsabilité du patron en cas d’accident d’un ouvrier sur le lieu
de travail. Cette dernière mesure est remarquable car elle humanise les
ouvriers qui ne sont dès lors plus « les choses » de leurs patrons. En 1906, un repos
de 24 heures consécutives par semaine est voté, et en 1910, le code du travail
est promulgué, toujours en vigueur de nos jours réglementant et encadrant les
relations entre salarié et patron. On remarque donc une accélération flagrante
du rythme des réformes après la légalisation des syndicats. Mais est-ce
seulement grâce à eux ? De par les contestations spectaculaires, on
observe ainsi près de 3,3 millions de jours de grève en 1970 dont plus des
deux-tiers dans le secteur des mines et de l’industrie lourde, secteur dans
lequel les progrès seront les plus longs à venir, mais pas seulement : les
conditions économiques jouent un rôle important dans le progrès social et donc
dans les revendications syndicales. En effet, à partir des années 70 les conditions
sociales vont se dégrader non pas du fait d’une restriction des libertés mais
du fait d’une dégradation de la situation économique qui entraine les
entreprises à restreindre les avantages accordés aux salariés.
En bref...
Puisant leurs racines
dans les confréries du Moyen-âge (les corporations), les syndicats sont
finalement autorisés en 1884, une vingtaine d’années après le droit de grève.
C’est à partir de la date de leur légalisation que les lois améliorant le
travail des ouvriers se succèdent alors que les progrès étaient très lents
avant la loi de Waldeck-Rousseau. C’est à partir de la seconde moitié du 19ème
siècle que les syndicats prennent leur véritable essor sous les 1ère,
2ème et 3ème républiques. Ils offrent alors un
contre-pouvoir unissant les salariés contre le pouvoir absolu du patronat. Pour
qu’il y ait progrès social, le salaire des employés doit augmenter, et donc
l’équilibre entre rémunération du capital et rémunération salariale. Là est le
rôle des syndicats : un relatif équilibre de la répartition des
bénéfices de l’entreprise. Mais leur rôle ne s’arrête pas là : envers
l’état sera dirigé des protestations dans le but d’obtenir des lois de
protection sociale : la Sécurité Sociale, la pénibilité du travail, le
travail des mineurs... n’en sont que les plus emblématiques.
La démocratie est la
condition sine qua non d’existence des syndicats et permet en elle-même un
progrès social. De plus, ce progrès social n’est pas perpétuel mais tend vers
une limite : à trop revendiquer, les syndicats ont tout
à y perdre, à commencer par les entreprises qui sont à la base du progrès
social car créatrices de richesses par l’exploitation du travail humain (c’est
le capitalisme).